
Le ministre américain de la Défense Jim Mattis, qui jusque là bénéficiait du soutien unanime de la classe politique américaine, se retrouve sous le feu des critiques pour son soutien indéfectible à l’Arabie saoudite après le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi.
Les critiques les plus virulentes sont venues cette semaine du sénateur républicain Lindsey Graham, qui a vivement reproché à M. Mattis et au chef de la diplomatie Mike Pompeo de refuser de lier directement le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, dit MBS, à ce meurtre commis en octobre dans le consulat saoudien à Istanbul.
M. Mattis a condamné à plusieurs reprises ce meurtre et appelé ses responsables à être punis mais il a affirmé ne disposer d’aucun « pistolet encore chaud » pour accuser directement le prince héritier de l’avoir commandité.
« Il faut décider d’être aveugle » pour ne pas conclure à sa responsabilité, a déclaré M. Graham, poids lourd du Sénat et proche du président américain, après avoir été informé des conclusions de la CIA.
« Ce n’est pas un pistolet encore chaud, c’est une scie encore chaude », a ajouté le sénateur, en référence au démembrement supposé du journaliste saoudien.
M. Graham « est un sénateur et il a droit à ses opinions », s’est contenté de répondre M. Mattis.
« Si je dis quelque chose, j’ai besoin de preuves », a ajouté le chef du Pentagone. « Quand nous parlerons, ce sera avec l’autorité » que conféreront les faits, a-t-il dit. « Je ne veux pas spéculer, tirer des conclusions hâtives, mais nous ne négligeons aucun détail ».
Lindsey Graham est un ex-opposant de M. Trump. Depuis rallié au président américain, il aurait pour ambition d’occuper un poste gouvernemental, mais il n’est pas le seul élu à dénoncer M. Mattis.
Le démocrate Chris Murphy a ainsi accusé MM. Mattis et Pompeo d’avoir « écarté » la question d’une responsabilité du prince Mohammed la semaine dernière lors d’une réunion d’information au Congrès, afin d’induire les élus en erreur.
Ils « savaient qu’il était impossible que ce meurtre ait été commis sans l’accord et les instructions de MBS », a indiqué M. Murphy.
Le républicain Bob Corker, qui dirige la commission des Affaires étrangères du Sénat, a déclaré qu’un jury américain condamnerait le prince héritier saoudien « en moins de 30 minutes ».
L’Arabie saoudite, qui s’efforce de tenir le prince héritier à distance de l’enquête sur l’affaire Khashoggi, a reçu le soutien inconditionnel de M. Trump qui voit en Ryad un allié vital au Proche-Orient, mais aussi un exportateur de pétrole clé et un acheteur important d’armement américain.
Mais les élus américains s’inquiètent de plus en plus du soutien de Washington à Ryad dans le conflit armé qui oppose depuis 2014 le gouvernement du Yémen, soutenu par l’Arabie saoudite, aux rebelles Houthis appuyés par l’Iran.
Un groupe de sénateurs a ainsi déposé mercredi un projet de résolution stipulant que le Sénat est « hautement convaincu » que le prince Mohammed est « complice » du meurtre de M. Khashoggi et critiquant vertement la responsabilité de Ryad dans ce conflit qui a fait au moins 10.000 morts et placé 14 millions de personnes au bord de la famine.
Le Sénat pourrait approuver la semaine prochaine un autre texte qui forcerait l’administration américaine à mettre un terme à son soutien militaire à la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite soutenant le gouvernement yéménite.
L’armée américaine a cessé le mois dernier ses opérations de ravitaillement en vol des appareils saoudiens engagés dans le conflit, mais des instructeurs américains continuent d’apporter leur soutien à Ryad.
La prudence de M. Mattis pourrait surtout être dictée par les circonstances: les belligérants au Yémen viennent juste d’entamer des négociations à Stockholm, et il ne veut pas prendre le risque de voir Washington perdre son influence auprès de Ryad alors que l’arrêt des hostilités est peut-être en vue.